Logistique, renseignements, attentats: le rôle des femmes dans les groupes jihadistes au Sahel

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Dans le paisible village de Wèla, niché au centre du Mali, des bruits de bottes ont soudainement brisé le calme rural en ce début de février. Des mercenaires russes du groupe Wagner ont fait irruption, lançant une chasse à l’homme – ou plutôt à une femme.

Leur cible: Aissatou (prénom modifié), qu’ils accusent de fournir une aide logistique aux groupes jihadistes.
« Wagner a fait une descente chez elle mais elle n’était pas là », rapporte sous anonymat une source locale contactée par l’AFP.
« Elle était soupçonnée de transmettre aux jihadistes des informations sur le calendrier des récoltes et se chargeait de certains de leurs achats », ajoute-t-elle.

Des tâches en apparence anodines, mais essentielles aux opérations des groupes jihadistes au Sahel.
« Les femmes sont rares sur les fronts des combats, mais elles jouent un rôle discret et hautement stratégique au sein des groupes terroristes », explique à l’AFP une source sécuritaire nigérienne.

– Kamikazes –
Leurs fonctions varient selon le groupe jihadiste concerné.
Affilié à Al-Qaïda, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM selon son acronyme en arabe) « a interdit formellement la participation des femmes au combat », explique Abdel Nasser Ould Ethmane Elyessa, chercheur associé à l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) de Jacqueville, près d’Abidjan.

Selon l’interprétation religieuse du groupe, » il n’y a pas eu de femmes combattantes du temps du prophète (Mahomet) ni après sa succession », a ajouté le chercheur, lors d’un séminaire organisé par l’AILCT fin février.

Dans le Sahel central (Mali, Niger, Burkina), où le JNIM domine, les femmes sont donc principalement impliquées dans la logistique, au renseignement et à l’approvisionnement des combattants jihadistes.

« En septembre dernier j’ai croisé dans la forêt de Wagadu (Mali, près de la frontière mauritanienne) une dizaine de femmes mariées à des jihadistes. Elles étaient chargées d’identifier les mécaniciens de motos, de transmettre des messages aux chefs de village et d’identifier les espions des militaires », témoigne une source locale contactée par l’AFP au centre du Mali.

Au Niger, l’armée a annoncé début février l’interpellation d’une femme avec un fusil d’assaut AK-47 et une importante quantité de chargeurs et de cartouches dissimulées dans sa valise « destinées aux groupes armés terroristes. »

Au Burkina Faso, les autorités ont fait état de « femmes observées en train de ramasser des blessés et des terroristes morts » lors d’une attaque en juillet 2022 contre le détachement militaire de Kelbo, dans le nord du pays.
Mais d’autres groupes jihadistes « acceptent que les femmes participent à des opérations kamikazes », explique à l’AFP M. Elyessa, citant par exemple Boko Haram dans le bassin du lac Tchad.

Le 29 juin 2024, une série d’attentats-suicides a été perpétrée par des femmes agissant en son nom à Gwoza, dans l’État de Borno, selon un document du Conseil de sécurité de l’Onu daté de début février.

– « Épouses au paradis » –
Si certaines femmes sont kidnappées et agissent sous la contrainte, d’autres sont recrutées pour leur radicalisation idéologique, convaincues qu’elles obtiendront une récompense spirituelle après leur mort, souligne M. Elyessa.

Avant de passer à l’attaque suicide, elles sont préparées à devenir des « épouses au paradis »: leurs cheveux sont tressés et du henné est appliqué sur leurs mains et leurs pieds, expliquent à l’AFP plusieurs sources locales dans le nord du Nigeria. Outre la conviction idéologique, les femmes rejoignent les groupes jihadistes pour de multiples raisons: réaction aux injustices sociales, loyauté envers un tuteur jihadiste, solidarité ethnique, recherche d’un époux pieux ou par intérêt économique, détaille M.Elyessa.
Cette dernière motivation est la plus répandue dans les septentrions du Bénin et du Togo, touchés par le jihadisme venant du Sahel.

« Elles sont beaucoup plus dans du +business+ », confirme à l’AFP Dr Abdel Aziz Mossi, enseignant-chercheur à l’université de Parakou (Bénin).
Elles ont « développé des circuits économiques informels pour assurer leur propre survie au quotidien » dans ces « zones plus ou moins délaissées par l’État », ajoute t-il.
« Il faut trouver des solutions pour que les femmes soient aussi concernées par la lutte (antijihadiste), la prévention, le dialogue, les actions civilo-militaires afin qu’elles puissent développer des contre-discours face à ce discours ambiant terroriste », poursuit le chercheur.

Alors que des transferts de compétences de l’Etat islamique en provenance de la Syrie vers le Sahel ont été signalés, le Dr Mossi redoute une implication encore plus marquée des femmes dans les attaques jihadistes dans la région.

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