Le continent africain ne représente plus que 5,3 % du commerce extérieur français et les 15 pays de la zone franc, 0,6 %. Une réalité très éloignée du cliché populaire d’une chasse gardée économique française en Afrique.
La majeure partie des intérêts économiques de la France en Afrique sont avant tout situés au Maghreb, puis en Afrique subsaharienne, mais hors de la zone franc : celle-ci ne représente qu’un peu moins de la moitié de ses échanges au sud du Sahara et 12,5 % de l’ensemble des échanges pratiqués par la France en Afrique. En 2018, parmi les cinq premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique aucun n’était issu de la zone franc. On y comptait le Maroc en première position (qui concentrait à cette date 18,9 % des échanges commerciaux franco-africains), puis l’Algérie (18,4 %), la Tunisie (15,2 %), le Nigéria (8,5 %) et l’Afrique du Sud (5,8 %).
Si l’on avait poursuivi ce classement, le premier pays de la zone franc qui y aurait figuré aurait été la Côte d’Ivoire en tant que neuvième partenaire commercial de la France en Afrique (3,8 %), loin derrière le Nigéria, cette ancienne colonie britannique aujourd’hui dollarisée, qui est à la fois le quatrième partenaire de la France sur le continent et son premier partenaire en Afrique subsaharienne. En revanche, si l’on ne tient compte que des exportations, le Nigéria représente le troisième client de la France en Afrique subsaharienne, derrière l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire.
Du point de vue des importations en pétrole et en gaz, l’importance de la zone franc pour l’économie française est bien plus réduite encore. En 2015, deux pays de la zone franc d’Afrique centrale fermaient le classement des fournisseurs de la France en pétrole : la Guinée équatoriale en treizième position (qui assurait 1,8 % des approvisionnements en pétrole brut de la France à cette date) et le Congo-Brazzaville (0,2 %) en quinzième position, derrière le Ghana en quatorzième position (1,6 %), pays voisin de la zone franc d’Afrique de l’Ouest.
En effet, les principales sources d’approvisionnement en pétrole de la France en Afrique subsaharienne se situent hors de la zone franc : au Nigéria (11,7 %) et en Angola (7,6 %), qui sont respectivement les troisième et cinquième fournisseurs en pétrole brut de la France dans le monde, derrière la Russie (7,9 %), le Kazakhstan (13,8 %) et l’Arabie Saoudite (18,6 %). Pour le gaz naturel, la France ne s’approvisionne pas dans la zone franc, mais en Norvège (qui concentrait 42,2 % des importations en gaz naturel entre 2013 et 2015), en Russie (11,4 %), aux Pays-Bas (10,7 %), en Algérie (9,4 %), au Qatar (1,1 %) et enfin au Nigéria (0,6 %).
Dans le secteur des hydrocarbures, ce sont d’abord les échanges avec deux États situés hors de la zone franc, le Nigéria et l’Angola (premiers fournisseurs subsahariens de l’économie française en pétrole brut) qui permettent à la France de réduire sa dépendance en pétrole auprès de l’Arabie Saoudite et de la Russie.
. Ensuite, parmi ce que l’Union européenne a identifié comme « matériaux stratégiques », c’est-à-dire les principales ressources géologiques nécessaires au développement de la compétitivité des entreprises, il ne s’en trouve qu’une seule, le caoutchouc, qui provienne de la zone franc (de la Côte d’Ivoire). Mais cette matière première n’est pas rare dans le monde et la Côte d’Ivoire ne représente que le 4e fournisseur des États de l’UE dans les approvisionnements issus de cette filière.
Quant aux ressources nécessaires à la fabrication des nouvelles technologies de l’économie numérique, celles présentes sur le continent africain ne sont pas localisées dans la zone franc. Ainsi, le tantale est extrait au Rwanda, en République Démocratique du Congo (RDC), en Angola, le cobalt en RDC, le vanadium et les platinoïdes en Afrique du Sud. Dans le domaine énergétique, la zone franc ne représente donc pas un intérêt fondamental pour la survie de la France et des autres États européens. Du point de vue des débouchés, on constate que les parts de marché des entreprises françaises en Afrique se sont fortement réduites ces vingt dernières années : elles ont été divisées par deux dans ce laps de temps. Cet amenuisement des parts de marché de la France ne correspond toutefois pas tant à un recul de la valeur de ces exportations (celle-ci est restée stable), qu’à un déclassement de son importance commerciale auprès des économies africaines, relatif à la progression de nouveaux acteurs, européens et asiatiques dans un contexte de croissance des secteurs primaires africains.
La France demeure le premier fournisseur européen des pays de la zone franc (les exportations françaises à destination de la zone franc correspondaient en 2017 à moins de la moitié des exportations de l’ensemble de la zone euro et pour un peu plus du tiers des exportations de l’UE dans cette zone), mais elle a perdu le statut de premier fournisseur mondial du continent en 2007 au profit de la Chine. Dix ans plus tard, en 2017, l’Allemagne était devenue le premier fournisseur européen d’Afrique, reléguant la France à la deuxième position.
Les exportations de produits industriels vers la zone franc et surtout vers les autres pays d’Afrique subsaharienne n’assurent plus la survie de branches déclinantes de l’appareil productif français : leur intérêt pour l’économie française a profondément changé depuis les dernières décennies de la colonisation. De nos jours celles-ci représenteraient plutôt une nouvelle frontière, un espace commercial favorable à la progression de la compétitivité à l’export des produits et services français, mais aussi européens. Ce constat d’un potentiel de croissance insuffisamment exploité par la France en Afrique a été aussi établi par la COFACE.
Cette agence estimait en 2018 que les exportations françaises à destination des pays francophones étaient inférieures de 26 % à leur potentiel, un chiffre largement supérieur à d’autres régions d’Afrique où les marges de progression économique de la France sembleraient bien plus limitées (ce potentiel serait de 10 % en Afrique de l’Est et de 2 % en Afrique australe). Cependant les économies subsahariennes représentant les potentiels de gains d’exportations les plus élevés pour la France seraient situées hors de la zone franc : il s’agirait notamment du Rwanda (le potentiel de progression y a été estimé à 89 %), de l’Érythrée (89 %), du Botswana (71 %), du Soudan (71 %).
On constate enfin que la répartition géographique des investissements directs à l’étranger (IDE) pratiqués par les entreprises françaises en Afrique subsaharienne n’est pas déterminée par la coopération monétaire franco-africaine. En effet, les IDE français ciblent en priorité des pays africains qui sont situés hors de la zone franc : l’Angola (en 2017 ce pays avait reçu 8,7 Md € d’investissements français), le Nigéria (8,6 Md €) et l’Afrique du Sud (2,5 Md €). La Côte d’Ivoire et le Sénégal, qui ferment la marche des principaux récipiendaires des IDE français, concentrent quatre fois moins d’investissements que les deux premiers bénéficiaires subsahariens des IDE de la France en Afrique. Ainsi la France demeure une source majeure d’IDE en Afrique (sur la période 2014-2018, la France était le deuxième pourvoyeur d’IDE sur le continent en volume et en valeur, derrière les États-Unis pour le nombre de projets soutenus et derrière la Chine pour les montants investis, loin devant les autres pays européens), mais, hormis pour de rares exceptions, les pays de la zone franc ne se retrouvent ni parmi les premières destinations des investissements en capitaux de ses entreprises ni parmi celles des autres grands pourvoyeurs d’IDE issus des pays de l’OCDE, et ce, depuis les années 2000.
D’un point de vue économique, la zone franc représente donc un intérêt très faible pour la France et les États européens. Elle n’est ni la principale source de leurs approvisionnements énergétiques, ni la première destination de leurs débouchés, à la fois sur le continent africain dans son ensemble et en Afrique subsaharienne plus particulièrement. Marginale parmi les intérêts commerciaux, financiers, industriels français et européens sur le continent africain, la zone franc n’est pas pour autant négligeable : c’est une source mineure de diversification de leurs débouchés et de leurs approvisionnements, particulièrement accessible et rassurante pour les investisseurs et les entreprises d’import/export du fait de la stabilité de sa monnaie et de son lien avec l’euro. L’on ne pourra pas pour autant justifier l’étroit engagement de l’État français avec les pays africains ayant en partage le franc CFA par des motivations d’ordre économique, compte tenu du faible intérêt financier et commercial que représentent les pays de la zone franc auprès des entreprises françaises.
Loup Viallet, spécialiste de l’économie et la géopolitique du continent africain.
Source: lesechos.fr/ https://www.facebook.com/share/p/yCvFPz7i95nk2XVh/?mibextid=oFDknk